Pour que notre amour demeure

À ton départ, j’ai récupéré ton porte-monnaie (cette petite bourse qui renfermait un bracelet que je t’avais offert) : il reste 4,51€. Comme je l’ai écrit dans mon carnet, ils seront à « but émotionnel et symbolique ». J’ai utilisé des pièces pour brûler un cierge, j’en ai données à certains mendiants qui m’ont touchée, j’ai laissé deux pièces dans une exposition. Je m’étais dit que j’irais déposer la dernière où tu es aujourd’hui. Il me reste une vingtaine de pièces et je décide d’entreprendre un « pèlerinage » dans les principaux lieux où nous nous sommes aimés.

6 mars 2016 : un an après avoir visité la cathédrale de Beauvais à tes côtés, j’y retourne – seule, cette fois-ci. J’y vais avec l’idée de me servir d’une de tes pièces pour faire brûler un cierge. Demain, cela fera dix mois que tu es parti. Cette nuit j’ai rêvé que tu revenais, et que tout naturellement nous passions la journée ensemble à visiter un musée. Tu m’avais manqué en rêve.

Je me saisis d’une de tes pièces d’un euro et prends un cierge. Je l’allume en pensant à toi, en te sentant près de moi. Je ferme les yeux: tu es là. Cette lumière brille pour toi.

J’arpente les allées de la cathédrale, je te revois à mes côtés, les yeux levés vers le plafond, ou assis à cette chaise en train d’écrire quelques lignes dans le livre d’or. Cette chaise est aujourd’hui vide, tout comme mon cœur. Tu es une chaise vide.

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7 mars 2016 : Dix mois. Jour que je choisis pour aller à ta rencontre à un autre endroit où on s’est aimés. J’enfile mon manteau, prends ton porte-monnaie, mon appareil photo, ma musique et me voilà partie vers le parc du château de Compiègne. C’est là-bas, qu’un après-midi d’août, nous nous sommes posés pour discuter avant que tu reprennes ton train pour Paris. Nous nous étions donc posés sous cet arbre du parc. Tu me parlais de ta prochaine rentrée à l’université: ça ne te bottait pas vraiment – et de la mienne en Bretagne. Nous ne sommes pas restés longtemps, mais c’est un endroit où tu étais avec moi, donc il est devenu symbolique. Et c’est surtout la ville de notre rencontre.

 

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Et aujourd’hui, je me retrouve au pied de cet arbre, avec  ma pièce de monnaie à la main et ça dans les oreilles. Je pense à toi, j’enterre la pièce au pied de l’arbre, murmure un « je t’aime » et continue de marcher pendant quelques minutes en me remémorant cet instant avec toi.

 

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8 mars 2016: 10h19, gare de Compiègne – ville de notre rencontre. Je décide de laisser une pièce dans un train de cette gare: gare où nous nous sommes souvent retrouvés, et parfois quittés. Je te raccompagnais pendant ton année de khâgne pour que tu prennes ton train pour Paris – je nous revois discuter main dans la main sur le quai de la voie 2. Je t’ai souvent attendu, dans le noir hivernal ou sous un soleil estival, sur le quai de la voie 1 – j’aimais te voir arriver au loin, nous échangions des regards et sourires timides et ce sont nos bras qui s’ouvraient l’un à l’autre pour enfin se retrouver. Je nous revois dormir l’un sur l’autre dans le train après en avoir raté au moins trois…, nous faire réveiller par un contrôleur et écouter de la musique, et rire, et…

Je nous revois. Je te vois. Tu es assis à côté de moi en ce moment et tu partages mes écouteurs. Tu es en train de boire ton café en face de moi. Je t’entends encore me parler de livres dont j’ignorais totalement l’existence. Je vois encore tes yeux qui me regardent de cette façon inédite. J’aimais la façon dont tu me regardais.

Tu es dans le train avec moi, et pourtant je te cherche partout.

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9 mars 2016: 13ème arrondissement, quartier de la BNF. Lieu où nous avons vécu pas mal de petits moments ensemble. Ces nombreuses heures en salle J de la BNF, assis à notre table de deux sur laquelle on s’étalait comme à la maison. Les pauses fruits. Les fous rires que nous devions camoufler pour ne pas perturber le silence de la bibliothèque. La fois où tu as déposé un baiser sur mon front dans l’ascenseur de la bibliothèque. Les nombreuses fois où tu dormais sur ta table au lieu de bosser. Ces cours particuliers que tu me donnais en littérature. Ces choses que tu m’écrivais sur des papiers ou sur mes mains. Les quelques films que nous avons vus au MK2 après avoir bossé toute la journée: « Et on parle pas pendant le film hein… Non j’déconne ». Toi, me serrant la main, et moi, me cachant sur toi pendant les scènes violentes.

J’aimais ces journées bibliothèque avec toi, car c’est vraiment là que je me suis rendue compte que nous pouvions communiquer sans se dire un mot: le silence est devenu moins pesant avec toi.

 

 

 

 

Un soir – après avoir travaillé toute la journée – nous avons acheté à manger au Camion qui fume, et nous nous sommes posés sur ces marches pour dîner en observant le ciel, les quelques étoiles et la lune. Je les photographie, j’y dépose une pièce et me dirige vers l’esplanade de la BNF.

Pour la première fois depuis des mois, tant ce lieu nous est familier, j’ai vraiment eu la sensation que j’allais croiser ton chemin par hasard: te voir assis sur ces marches en train de lire un bouquin, te voir marcher vers le métro ton cartable à la main et la musique dans les oreilles, te voir à la terrasse de ce café où nous nous étions posés un soir après avoir travaillé toute la journée, te voir dans un de nos QG du midi en train de boire une soupe ou un grand moccha blanc. Te voir. Puis je me suis souvenue que tu n’étais plus là.

Mais je t’ai vu.

C’est vraiment la première fois que je reviens ici, sans toi. Revoir l’endroit où nous faisions la queue le matin pour pouvoir entrer dans la bibliothèque. M’asseoir de nouveau sur ces marches sur lesquelles nous mangions les sandwich que nous avions préparés chez toi le matin. Ces marches où nous rêvions le temps d’une pause de quelques minutes. Où nous nous projetions. Marcher de nouveau sur l’esplanade de la BNF sans ta main dans la mienne. Écouter le silence sans toi.

 

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Sans toi.

Ligne 14: ligne où nous nous sommes souvent quittés après nos weekends bibliothèque – moi qui descendais à Châtelet pour aller à la gare, et toi continuant un peu plus loin pour rentrer chez toi. Un dernier baiser et nous voilà séparés pour quelques semaines. J’empruntais l’escalator le cœur serré, et je jetais finalement un dernier regard dans ta direction. On se reverra vite.

 

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10 mars 2016: je retourne au Parc de la Villette, l’endroit où nous avions passé une partie de la fête de la musique 2014. Je nous revois, formant un grand cercle avec nos amis. Tu es venu t’asseoir à côté de moi. Tu me prends la main. Et nous discutons.

Nous décidons de quitter ce parc pour nous diriger vers le centre de Paris. On se met debout en attendant les autres. On est au bord du canal de l’Ourcq et tu me dis « Viens, on ferme les yeux et on marche droit devant ». L’eau à côté de moi m’effraie un peu, mais je te fais confiance et nous faisons quelques mètres les yeux fermés, main dans la main. Aujourd’hui, je jette une pièce dans ce bassin, en repensant à cet instant.

Je dépose également une pièce sur ce petit muret où nous avons discuté pendant quelques minutes en attendant les autres qui étaient en pause toilettes. Nous parlons de la rentrée prochaine, de ton potentiel sujet de mémoire, de tout, de rien. D’avenir.

 

 

 

 

 

 

Aujourd’hui, je marche seule, les yeux fermés, au bord de l’eau. Mais tu n’as jamais été aussi près de moi à la fois.

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10 mars 2016: je retourne, pour la deuxième fois sans toi, aux Buttes-Chaumont. Ce fameux apéritif pluvieux du 13 juillet 2014. Un doux moment. Je laisse une pièce sur ce banc où nous nous sommes aimés. Les lieux que nous avons connus tous les deux n’ont plus le même parfum sans toi.

Tout est fade depuis toi.
La musique n’a plus la même résonance.
La nourriture, la même saveur.
Le soleil, la même chaleur.
Les rires, le même éclat.

 

 

 

 

 

 

10 mars 2016: Cimetière du père Lachaise – nous y étions allés ce fameux 9 juin 2013. C’était la première fois que je venais à Paris pour te voir. Nous avions envie de faire tellement de choses pendant ces deux jours: et finalement, nous avons davantage rêvé et flâné ensemble. Nous avons vécu. Nous déambulons dans les allées du cimetière en papotant – tu me montres la tombe de Victor Hugo, d’Honoré de Balzac et de Guillaume Apollinaire. Mais ce ne sont pas ces tombes qui nous ont le plus touchés. Nous marchons à l’aveugle dans les allées. Et là, tu t’arrêtes net. Je regarde ce que tu regardes. Et nous tombons amoureux d’un caveau sur lequel était inscrit Gémissons. Gémissons. Gémissons. Tu m’expliques un peu l’histoire de la franc-maçonnerie. Tu me demandes de prendre le caveau en photo.

 

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Aujourd’hui, je déambule encore à l’aveugle dans ce vaste cimetière à la recherche de ce caveau. Je n’ai qu’un très vague souvenir de l’endroit où il se situe – pour ainsi dire, aucun – et je finis par me perdre dans les allées, en compagnie des corbeaux, désespérée, te demandant de guider mes pas vers ce lieu où on s’est émerveillés ensemble.

Après plus de deux heures, je dois quitter le cimetière, frustrée de ne pas avoir retrouvé cet endroit. Mais, en me dirigeant vers la sortie, je tombe sur un autre caveau, tout aussi beau, en haut duquel est inscrit « J’irai vers lui mais il ne reviendra pas vers moi ». Je reviendrai. Je viendrai.

 

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11 mars 2016: Je retourne sur le Pont des Arts. Un soir où j’étais venue à Paris pour rendre visite à Gilles, il m’y emmène. À ma grande surprise, il avait prévu que l’on y accroche un cadenas. J’ai été touchée par cette tendre attention. Le soleil se couche. Nous nous asseyons sur un banc après avoir scellé notre amour. Il m’a fait mourir de rire ce soir-là. Beaucoup de vendeurs de roses, d’alcool et autres bibelots n’arrêtaient pas de nous accoster. Au moment où un vendeur de roses s’approche de nouveau de nous, Gilles me chuchote « Attends je vais faire une blague ». Je m’attends au pire. Le vendeur nous baragouine quelques mots et Gilles lui rétorque un magnifique « Non c’est bon merci j’l’ai d’jà baisée ».

 

 

 

 

 

 

Aujourd’hui, il n’y a pas de vendeurs sur ce pont. Il n’y a plus de cadenas. Il n’y a plus toi, non plus. La Seine déborde et c’est mon cœur qui se noie. Je me saisis d’une de tes pièces et la jette au fond du fleuve. 

 

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Je fais une halte dans le quartier Saint-Michel, sur ces quais où nous nous posions parfois pour manger libanais. C’était si bon. Nous nous retrouvions aussi parfois à la grande fontaine – je te sautais dans les bras et nous partions nous balader au bord de la Seine.

 

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« Ce midi, je mange sur les quais etc… Et là… En face de moi… Un mec et une meuf, de notre age et un peu dans notre style qui mangent libanais et qui se racontent des trucs qui ont l’air vraiment fort drôles… J’ai l’impression de nous voir… Etrange impression… »

 

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Gare du Nord: lieu d’au revoir, de retrouvailles. Te voir au loin avec ton petit sourire, ne plus oser te regarder dans les yeux. Me jeter dans tes bras. On avait su rendre les gares plutôt agréables. Je dépose une pièce sur un des quais.

 

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Quand on va de la gare du Nord à la gare de l’Est (et inversement) à pieds, il faut prendre le bon itinéraire pour avoir la chance de tomber sur la rue d’Alsace. Gilles aimait me faire passer par ici quand nous devions faire ce trajet, puisqu’une scène du film Le fabuleux destin d’Amélie Poulain y avait été tournée. Aujourd’hui, les murs se sont parés d’un manteau coloré en réponse, je suppose, aux récentes attaques qui ont eu lieu à Paris. Je laisse une pièce en haut du grand escalier en pierre, et me dirige vers la gare pour prendre le métro jusque chez toi, pour une dernière fois.

 

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 Station Exelmans, ligne 9. Ça n’a plus de sens de venir ici sans toi, je le sais, mais je suis quand même là. Le soleil commence à décliner, il se reflète dans cette vitre – je trouve cela assez doux. Encore quelques mètres et je serai dans ta rue. Je contourne ce café au coin de la rue. J’y suis. Je reconnais la porte d’entrée, lève les yeux au ciel, vois ta fenêtre.

On a vécu pas mal de bons moments ici: les moments où on déménageait tout ton appartement à 1h du matin juste pour pouvoir dormir dans le même lit, la fois où nous avons pleuré ensemble devant Dancer in the dark, la fois où tu m’as forcé à manger du pain d’épices, la fois où nous sommes rentrés des courses chargés comme des bœufs, la fois où nous sommes rentrés après la fête de la musique à 5h30 du matin et que le soleil était en train de se lever, les fois où je réquisitionnais ton iPod pendant que tu prenais ta douche, la fois où nous avons bu du champagne en regardant la lune. Pour toutes ces fois, je me devais de retourner (encore) une dernière fois au 11 rue de Varize.

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Plus jamais je n’y reviendrais. Ça n’a plus aucun sens sans toi.

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Mon pèlerinage dans la capitale et en Picardie s’achève. Dernière étape, venir te voir où tu es aujourd’hui, dans le Sud. Je dépose une ultime pièce à la gare Montparnasse avant de prendre mon train pour Toulouse – gare où nous nous étions retrouvés après quatre mois de silence. Dans 24h, je serai à nouveau près de toi.

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Je viens te voir où tu es puisque « J’irai vers lui mais il ne reviendra pas vers moi ».

Dimanche 13 mars 2016: il me reste trois pièces en ma possession et je suis en route pour venir les déposer où tu reposes aujourd’hui. C’est la fin de mon pèlerinage qui s’annonce et ça va être dur de te dire définitivement au revoir. Effrayante dernière étape.

 

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J’y suis. Je m’assois face à ce bloc de béton blanc. Je porte ta chemise. Je te parle. Te pleure. T’écoute. Te vois. Te sens. T’aime.

Je dispose les trois dernières pièces en forme du symbole franc-maçon du caveau, te laisse une lettre avec une photo de nous en train de rire aux éclats, et cette pierre que tu avais ramassée au Cap Fréhel quand tu étais venu me voir en Bretagne.

Le voyage jusqu’à toi est terminé. C’est le cœur plus léger et les yeux lourds de larmes que je te quitte. Je reviendrai. Jusqu’à ce que mon cœur cesse de battre.

 

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À mon meilleur ami, mon frère, mon alter ego, mon amour, mon âme sœur. Je n’ai jamais su te donner de nom précis puisque tu étais tout pour moi, mon loup.

Je fais cet article pour toi. Également pour vous partager mes photographies. Mais c’est avant tout pour moi. J’avais besoin de te dire au revoir progressivement et de garder une trace de ce travail sur moi-même. Chacun sa façon de gérer ce genre de situations: personnellement, je l’ai fait avec tes pièces de monnaie, mon appareil photo et une âme fortement symbolique.

Pour que nos rires résonnent. Pour que ton âme survive. Pour que notre amour demeure.

À jamais.

Ta girafe.

 

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Merci aux gens qui m’ont soutenue et accompagnée: Éléonore, Camille, Anas et Quentin.

 

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